Morceaux choisis de la brochure :
Au cœur de l’éco-développement des Cévennes…
Promenons-nous dans la filière bois !
Cette brochure fait le tour des logiques conduisant au développement de la filière bois en Cévennes. Elle fait état des différents outils dont disposent les capitalistes, décortique leurs discours teintés de démocratie, de social et d’écologie, nous apprend comment ils gèrent et comptent davantage gérer les forêts pour les faire correspondre aux logiques de rentabilité, en tâchant tout de même de ne trop pas nuire aux paysages, si chers aux yeux de l’industrie touristique. En s’intéressant à ce qui se passe au niveau local, non sans le mettre en lien avec les politiques et les révoltes internationales, le texte esquisse aussi quelques réflexions sur les impasses des contestations qui resteraient intégrées à ce système, dont l’exploitation forestière n’est qu’une facette…
Bois-énergie : quand la forêt part en fumée…
« On ne cesse de se plaindre de ne pas avoir de ressources en matière première, on en a une sous nos yeux et on la sous exploite. (…) La France n’a pas de pétrole. La France n’a pas de gaz. Mais la France a des territoires ruraux, une géographie, des ressources naturelles qui représentent un potentiel formidable ». (Nicolas Sarkozy, discours sur le développement de la filière bois, le 19 mai 2009 en Alsace)
Avec l’appui du gouvernement à travers notamment la labellisation de certains projets en « pôles d’excellence rurale » (PER), les collectivités locales, principalement communautés de communes et pays, mettent le paquet sur l’utilisation du bois comme ressource énergétique. Certains applaudissent déjà l’essor de ce secteur, débouché crucial pour l’exploitation forestière, qui correspond aux volontés d’accroître la production énergétique en la basant sur des filières d’approvisionnements dites « renouvelables » ou « durables » (au rang desquelles le nucléaire est en bonne place)1.
Le PER 172 « Valorisation des bio ressources par la cogénération à partir de biomasse » concerne le territoire de la Lozère et principalement la ville de Mende. Il s’agit d’un projet qui comprend la création d’une usine de cogénération biomasse (production simultanée de chaleur et d’électricité à base de dérivés du bois), d’un réseau de chaleur ainsi qu’une étude de pérennisation des approvisionnements en bois énergie en Lozère. L’investissement pour la centrale s’élève à 30 millions d’euro. L’usine a été construite sur le Causse d’Auge au dessus de Mende. Déjà en service notamment pour l’hôpital et les quartiers avoisinants, elle devrait couvrir toute la ville en 2012 pour fournir le chauffage et la moitié de l’électricité consommée. C’est l’entreprise Bio Energie Lozère, gérée par la famille Engelvin, principaux industriels du bois en Lozère, qui a remporté l’appel d’offres. Les 9 kilomètres de réseaux de chaleur, actuellement en travaux, sont mis en place par le groupement Dalkia Engelvin TP Réseaux. La préfecture de la Lozère vise ainsi à devenir une ville pilote au niveau européen en étant la première à être intégralement chauffée au bois. Entre 65000 et 85000 tonnes de bois seront à terme brûlées chaque année dans la centrale. A terme, le combustible proviendra sans doute des forêts locales (Margeride et Cévennes). Pour l’instant, le contenu des sept semi-remorques par jour qui alimentent l’usine provient essentiellement des Landes où la matière première coûte moins cher.
Du côté d’Alès et bien au delà, on s’active aussi ! Le Pays Cévennes, présidé par Max Roustan, bénéficie d’un PER intitulé « Economie territoriale durable en Cévennes » qui s’appuie sur le développement de l’économie numérique et de la filière bois. Il permet de financer l’achat de déchiqueteuses et des chantiers pour aménager des aires de stockage et séchage de plaquettes forestières, principal combustible de la filière bois-énergie2. L’objectif des élus est aussi d’équiper les infrastructures publiques de chaudières bois-énergie et d’encourager industries et particuliers à en faire autant. Le nouvel hôpital d’Alès brûlera 2800 tonnes de bois, le nouveau lycée de St-Christol plus de 300 tonnes, l’office public HLM de la Grand Combe 1250 tonnes, la chaudière centrale prévue pour 2012 à Alès 45 000 tonnes… Les élus du Pays ne cachent pas leur volonté d’approvisionner pour bientôt des villes plus lointaines comme Nîmes ou Montpellier.
Ici ou là, des petites communes s’équipent également. La fédération nationale des communes forestières (Fncofor) a d’ailleurs lancé un programme s’intitulant « 1000 chaufferies bois pour le milieu rural », invitant autant de maires à se lancer dans cette « grande aventure » avec le partenariat du financeur Dexia pour consommer, selon leurs prévisions, 250 000 tonnes de bois. Les chambres de commerce et d’industrie du Gard et de la Lozère ont quand à elles créer une mission bois-énergie qui assure notamment la promotion du chauffage automatique à bois et vient de se doter d’un laboratoire (basé à Mende) pour tester la qualité des combustibles.
L’entreprise Dalkia, leader européen en matière de service énergétique, filiale du groupe Véolia (et dont EDF est également actionnaire) est l’un des principaux bénéficiaires de cet engouement pour la filière bois. A Mende, à Alès, comme dans le reste du monde, elle est partenaire des institutions publiques comme des industriels pour la prise en charge de leurs projets de cogénération, réseaux de chaleur, chaudières centrales biomasse3…
L’ONF est également partie prenante du marché du bois-énergie, notamment grâce à sa nouvelle filiale, ONF Energie Bois qui prévoit de commercialiser, en 2009, 140 000 tonnes de plaquettes issues des forêts domaniales françaises.
Dans la région, le pôle de compétitivité DERBI (développement des énergies renouvelables pour le bâtiment et l’industrie) s’attèle à coordonner les différents acteurs de technologies innovantes appliquées aux énergies dites propres.
Une étude, commandée par le conseil régional et parue en décembre 2007, estime, que dans les conditions d’exploitation actuelles, le volume de bois sur pied mobilisable uniquement pour la filière bioénergie en Lozère s’élèverait à 1 211 578 m3/an, réparti en 344 180 m3/an pour la forêt publique et 867 398 m3/an pour la forêt privée. Le gisement forestier mobilisable dans toute la région atteindrait près de 4 millions de mètres cube par an ! Si le scénario envisagé se déroule comme prévu, le silence des usagers de la forêt cèdera partout sa place au vacarme assourdissant des tronçonneuses et des abatteuses…
Plaquettes et granulés permettent de valoriser surtout les bois de maigres qualités (feuillus et résineux) qui ne sont pas commercialisables en bois d’œuvre. Le bois-énergie constitue un débouché pour les arbres qu’on destine habituellement plutôt à l’industrie (papier, palettes, bois moulé…) qu’aux entreprises de construction. Des équipements se mettent en place pour le chauffage au bois broyé, en ville comme à la campagne, et donc même dans des endroits où l’on se chauffe encore en allant faire soi‐même son bois. Il faut dire que cette activité, qui se soucie parfois bien peu de la propriété privée, ne va pas dans le sens voulu par le Capital puisque celui‐ci cherche à faire en sorte que le maximum de logis soient reliés aux fameux « réseaux de chaleur ». Pour les nostalgiques du bûcheronnage familial, sachez tout de même que collectivités et entreprises louent d’ores et déjà des déchiqueteuses aux particuliers !
Et, sans doute pour bientôt, au cœur des éco-gîtes cévenols, des piscines chauffées automatiquement grâce aux silos pleins de plaquettes forestières !
En Asie, Afrique et Amérique Latine, des palmiers à huile et des eucalyptus sont plantés dans l’objectif de produire des biocarburants, pour alimenter des moteurs. Des recherches sont actuellement financées un peu partout sur la planète pour valoriser d’autres types de bois de cette manière, notamment en modifiant des essences plus adaptées au climat tempéré.
Lutter contre l’exploitation forestière… et son monde !
Le nouveau visage du capitalisme, maquillé aux couleurs de l’écologie, lui permet d’avancer à grands pas, ici en Cévennes notamment. Les notables locaux font des pieds et des mains pour créer ou restructurer les secteurs qui permettront un développement économique durable. La filière bois en fait partie. Accompagné par l’Etat, le Capital se renforce et poursuit la logique de l’exploitation de sorte à ce que plus rien n’échappe à son contrôle. Chaque existence, chaque parcelle du territoire doit lui être dévoué entièrement. Pour autant, ici comme partout, des résistances s’enclenchent, des individus refusent la condition qui leur est faite, tentent de sortir du décor mortifère où l’on voudrait qu’ils se tiennent et travaillent sans broncher. Ces luttes doivent se rejoindre et s’intensifier pour pouvoir porter réellement leurs fruits. Elles doivent aussi s’enraciner dans notre quotidien pour ne pas rester que folklore déconnecté du reste de nos existences. Quiconque veut que la révolte s’accroisse doit commencer par s’opposer à la logique du système capitaliste là où il vit. Ici, cela signifie notamment lutter contre l’exploitation forestière en ce qu’elle est révélatrice de la totalité d’un processus qui cherche à se montrer acceptable alors même qu’il développe l’esclavage salarial, le contrôle du moindre espace et la destruction durable de l’environnement.
Une lutte contre la filière bois en Cévennes n’a de sens que, reliée, au moins par le contenu des réflexions qu’elle porte, à toute tentative de s’attaquer à l’ordre social. Contribuer à cette lutte, éviter les impasses qui peuvent se présenter, a du sens parce que ce combat nous concerne en tant qu’habitants de ces montagnes et de ces forêts, parce que nous nous opposons à ce que l’on nous présente comme un horizon indépassable, ici comme ailleurs.
Nous ne baisserons pas les bras en attendant que les forêts deviennent toutes des champs de résineux et les chemins des autoroutes, nous ne nous résignerons pas à les laisser nous exploiter, nous n’attendrons pas que d’autres se révoltent en masse pour le faire. Nous nous solidariserons activement avec les peuples du monde qui luttent contre l’exploitation forestière (et le reste !) en luttant ici aussi.
Il est possible de s’organiser pour connaître et faire savoir là où tel chantier commence, là où tel autre prend tel tournure. A chacun d’agir selon ce qu’il estime le plus efficace et le plus cohérent, sans tomber dans le piège d’une contestation intégrée au système, avec ses représentants, ses médiateurs, ses négociateurs, ses porte-parole, ses contre- experts, ses récupérateurs et ses juristes.
1La logique en question est décrite plus loin, dans le paragraphe intitulé « Encore un peu de peinture verte ? » (page 9), ici nous détaillerons plutôt la mise en place de la filière bois-énergie.
2L’implantation de ces aires, cinq pour le moment, est prévu sur les communes de Concoules, Saint-André-de-Lancize, Saint-Jean-de-Maruéjols et Marsillargues-Attuech… Une déchiqueteuse flambant neuve acquise par le Pays vient d’être confiée en gestion à la Scic Bois 2 mains (cf. note 4).
38 562 millions d’euro de chiffre d’affaire, 88 000 installations énergétiques gérées, 650 réseaux de chaleur et de froid, 3000 sites industriels, 21400 bâtiments publics -écoles, hôpitaux, équipements culturels et sportifs…-, 5,1 millions de logement, 110 millions de m2 de bâtiments tertiaires et commerciaux…