Je me souviens…
Peux-t-on faire une comparaison entre le remembrement (1918/2007) qui a consisté à arracher toutes les haies limitant les parcelles cultivables, et L’Aménagement Foncier Agricole et Forestier (AFAF) dont il est question, aujourd’hui, notamment dans les Cévennes ? C’est probable.
Lorsque j’étais enfant, dans mon Jura natal et sur les terres familiales en Haute-Savoie, j’ai vu s’effectuer le remembrement. J’ai entendu les « vieux » protester, dire que les haies retenaient l’eau, abritaient de nombreux animaux. L’arrachage des haies provoquerait, selon eux, un déséquilibre (à cette époque on n’avait pas encore inventé les termes d’éco-système et de biodiversité) préjudiciable à la nature et aux hommes. Les jeunes agriculteurs, quant à eux, ont écouté le chant des sirènes des pouvoirs publiques et du Crédit Agricole. Ils ont cru que, grâce au remembrement, ils augmenteraient leur productivité. Le passage d’une agriculture manuelle, avec traction animale, ou semi-manuelle à l’aide de tracteurs, à une agriculture industrielle, devait également augmenter la productivité, tout en allégeant le travail. Ils ont donc investi dans des machines agricoles fort onéreuses. Pour les paysans les plus pauvres, le Crédit Agricole a prêté la totalité de la somme nécessaire.
Que s’est-il passé ensuite ? Les oiseaux sédentaires, et passereaux ont disparus, faute de lieux où nicher. Les insectes n’ayant plus de prédateurs naturels, ont proliféré. Il a donc fallu utiliser des insecticides. Les busards se sont raréfiés, et fatalement taupes et rats se sont multipliés. Le petit gibier, faisans, lièvres et lapins a quasi disparu. Or, pour les paysans les plus pauvres, c’était une ressource alimentaire non négligeable.
L’autre prévision des « vieux » s’est -hélas- aussi avérée exacte. J’ai le souvenir de terres cultivées, recouvertes durant plusieurs semaines d’une quantité d’eau assez impressionnante. On aurait cru voir un lac s’étendant à perte de vue. Les récoltes étaient perdues. Les grands propriétaires terriens ont pu faire face à ce désastre, les petits, non. Ne pouvant pas rembourser leurs crédits, ils ont vu le Crédit Agricole faire main basse sur leurs terres, et parfois leurs maisons. Cette banque créée pour soi-disant aider les agriculteurs, s’est enrichie à leur dépens, jusqu’à devenir cet organisme bancaire de niveau international, ayant de nombreuses succursales en villes, où vivent -comme chacun sait- de nombreux paysans. Ces agriculteurs spoliés ont dû devenir ouvriers à la chaîne, pour survivre. Certains n’ont pu s’y résoudre et se sont suicidés.
Le remembrement a sévi durant soixante ans, et a causé de tels désastres sur l’ensemble du territoire national, que ce terme est aujourd’hui banni de tous les textes officiels. La loi n°2005-157 du 23 février 2005 et son décret d’application du 18 janvier2007 supprime la procédure de remembrement et instaure « l’Aménagement Foncier Agricole et Forestier » dans le cadre du « Développement des territoires ruraux ». Est-ce vraiment différent, ou s’agit-il d’une mascarade destinée à nous berner – la bête ayant simplement changé d’oripeaux, pour mieux nous endormir ?
Imaginons, si le projet d’E.on se concrétise, ce que nous verrons : tout ou partie des châtaigneraies auront disparues, avec pour première conséquence la disparition des châtaignes et de la plupart des champignons. Les plus pauvres d’entre nous qui s’en nourrissent, ceux qui en tirent une partie de leurs revenus, se verront privés de ces ressources. Nous sommes nombreux à nous chauffer au bois. Qu’adviendra-t-il lorsqu’il ne restera que du chêne et du fayard ? C’est très simple : le prix du bois de chauffage s’envolera et les plus démunis d’entre nous seront en état de précarité énergétique. E.on nous vante l’efficacité et la modernité des granulés et des plaquettes, mais outre leur prix, non négligeable, nous devrons acquérir des poêles acceptant ce type de combustibles. Or, étant donné le coût de tels appareils, il est peu probable que nous soyons nombreux à pouvoir le faire.
A l’heure actuelle, de nombreux forestiers coupent « à blanc ». Pas tous. Certains, peu nombreux hélas, sélectionnent les arbres à couper, enlèvent les petites branches inutilisables et taillent les taillis. Bref, ils gèrent la forêt de manière raisonnée et respectueuse de l’environnement. Avec les forestiers dépêchés par E.on, les coupes « à blanc » vont se multiplier. Ils ne transporteront que les fûts et les grosses branches dont l’usine de Gardanne a besoin pour son fonctionnement. Le reste sera laissé sur place -rentabilité oblige. Il ne restera, alors, que des surfaces plantées de pins et, à la place des anciens châtaigniers, du taillis et des monceaux de petites branches mortes. D’ors et déjà, on peut constater les dégâts dans certaines communes : des monceaux de branches mortes et de brindilles, qui atteignent parfois un mètre cinquante de haut. Selon un témoin d’un tel carnage « on croirait qu’un ouragan est passé ». Ces entrelacs de végétations mortes deviennent des sanctuaires pour les sangliers- inaccessibles aux chasseurs. On peut donc prévoir une augmentation de la population porcine dans nos forêts, avec les dégâts que ces animaux produisent, lorsqu’ils sont trop nombreux. Lors des inévitables « épisodes cévenols » les pins restants, ne pourront pas, à eux seuls, retenir les torrents qui se déverseront des crêtes, jusque dans les vallées. Les inondations à venir seront bien pires que celles que nous avons déjà connues. La terre, laissée à nu, se transformera en boues qui se déverseront dans les rivières, colmatant l’habitat et les frayères des poissons.
Quant aux incendies…Un simple mégot de cigarette, un barbecue mal éteint, et les Cévennes s’embraseront. Les pompiers, même avec l’aide de canadairs, auront le plus grand mal à stopper l’incendie, d’autant que les pins ont une particularité : ils transmettent aussi le feu par les racines. L’incendie couve sous terre et réapparaît plus loin.
J’en arrive à la conclusion que « Remembrement » et « Aménagement Foncier Agricole et Forestier » s’ils ne sont pas identiques, sont fortement semblables. Une fois encore, pouvoirs publics et industrie privée, s ‘associent pour nous spolier, nous appauvrir, ruiner notre environnement, tant la faune que la flore, en nous mentant de manière éhontée. La course au profit, dans le plus grand mépris du vivant, balaie tout sur son passage, les êtres humains, l’environnement et, elle met en péril l’avenir de nos enfants. L’on m’objectera, peut-être, que je suis passéiste. Je répondrai « si on avait écouté les « vieux passéistes » qui s’opposaient au remembrement…
4° Bien sûr nous ne sommes pas les seuls à être confrontés à cette problématique.
Ainsi par exemple sur le plateau de Millevaches en Corrèze, quelques habitants ont essayé de comprendre ce qui se jouait dans leurs forêts. Dans une récente brochure sur l’état de leurs forêts et de leurs devenirs possibles, ils développent une approche plus sensible des problèmes qui se posent et proposent quelques pistes pour pouvoir en sortir.