E.ON, la centrale thermique de Gardanne et la châtaigneraie cévenole
E.on, entreprise allemande, troisième groupe mondial du secteur de la distribution d’énergie, a reçu l’autorisation de reconvertir la centrale thermique de Gardanne (13) en centrale à biomasse. Ce projet, largement soutenu par l’État au travers d’un contrat d’approvisionnement sur 20 ans, constitue le plus important en France dans le domaine de l’énergie biomasse à ce jour.
Pour autant le gain énergétique, au regard de l’investissement pharaonique (230 millions d’euros pour E.on), n’est pas concluant et le projet est contesté dans sa faisabilité.
Le fort soutien qu’apporte l’État à cette occasion s’explique par le soucis de préserver des emplois sur le site de Gardanne, car E.on avait affiché sa volonté de se séparer de toutes ses centrales thermiques en France (5 au total). Plutôt que d’assumer socialement les conséquences de sa stratégie, et éventuellement re-déployer son personnel sur d’autres activités, l’entreprise envisageait des départs anticipés et licenciements – peu de reclassements. Rien de très étonnant : alors que son chiffre d’affaire a été multiplié par 420% (120 milliards d’euros en 2012) en 10 ans, le groupe s’est délesté de 20% de son personnel (soit 20.000 personnes) entre 2002 et 2006.
E.on affiche aujourd’hui une volonté de promouvoir les énergies durables, ce qui n’a pas toujours été le cas : en 2008 le groupe était le second pollueur européen en terme d’émission de Co2. L’entreprise s’est aussi rendue célèbre avec la deuxième plus grosse amende de l’histoire de l’UE en 2009 pour entente illicite (533 millions d’euros) : GDF et E.on s’étaient entendus pour se partager la distribution du gaz russe en France et en Allemagne, en s’assurant que chacun ne viendrait pas piétiner les plate-bandes économiques de l’autre (en d’autres mots, pas de concurrence).
La centrale à biomasse et ressources forestières
Pour faire fonctionner la centrale de Gardanne, qui doit être opérationnelle en 2014, E.on a besoin de bois, beaucoup de bois : entre 800.000 et 1.000.000 de tonnes annuelles. L’État a conditionné son aide avec l’impératif de développer les filières bois régionales (dans un périmètre de 400 kilomètres), et dans un premier temps, 50% de l’approvisionnement en bois doit provenir des régions voisines.
E.on affiche que son projet consommera principalement des déchets verts, des résidus de plans de DFCI, et des bois inutilisables à d’autres fins. En vérité, le bois de coupe représente plus de 80% du combustible biomasse et le groupe a un besoin primordiale de ressources forestières, c’est à dire d’aller chercher du bois sur pied dans les forêts.
Au démarrage du projet donc, et selon les estimations d’E.on, 50% de la ressource forestière nécessaire sera issue de l’importation de bois venant de l’étranger où des forêts seront abattues pour être brûlées à Gardanne. Les 50% restant, soit 311.000 tonnes, vont être recherchées principalement dans les régions PACA, Rhône-Alpes et Languedoc Roussillon. A l’horizon 2025, 100% de la ressource en bois devra être approvisionnée localement, soit 450.000 tonnes d’après E.ON.
Et la châtaigneraie cévenole ?
E.on a défini le sud-Lozère, le nord d’Alès, le pays vigannais et la région d’Anduze Quissac, comme zone d’approvisionnement prioritaire (ZAP) de la centrale de Gardanne.
Parmi les essences forestières convoitées, le châtaignier se situe en tête de liste. En effet, de part son fort rendement calorifique, sa combustion générant peu d’encrassement, et sa forte représentation dans les espaces forestiers (un tiers de la forêt en basse Cévennes, soit 25.000 hectares), le châtaignier représente une ressource attractive pour une centrale à biomasse.
Ainsi, selon les zones citées précédemment, les prévisions de quantité de bois à prélever varient entre 1.000-7.000 tonnes par an (fourchette basse) et 7.000-11.000 tonnes par an (fourchette haute). Toutefois, rien ne garanti que ces chiffres soient réalistes et, selon les opportunités, les quantités pourraient être nettement supérieures.
Ce que propose E.on
L’entreprise ne prévoit pas de venir exploiter le bois directement, elle a ainsi besoin de sous-traitants pour négocier avec les propriétaires de parcelles boisées, effectués les coupes, transformer, conditionner, stocker, et transporter le bois.
E.on incite donc les exploitants privés des Cévennes a s ‘équiper en prévision d’une exploitation industrielle du bois, et notamment de la châtaigneraie.
A cet effet, E.on propose un appui à la recherche de financements permettant l’ « innovation » : « araignées » forestières, ponts mobiles pour franchir des rivières, « mini grumiers » et autres engins d’abattage… l’attirail laisse rêveur quand on pense au patrimoine naturel préservé que représente actuellement les forêts cévenoles.
Ainsi les prestataires locaux seront amenés à faire des propositions à E.on, et iront de leur côté démarcher les propriétaires forestiers. E.on achètera le bois exploité non au tonnage et au mètre cube, mais au KWH estimé.
Une opération « sous-marin », aux conséquences indéterminées
On peut en premier lieu s’étonner du silence absolu dans lequel se déroule ce projet, dont les appels d’offre aux prestataires commencent pourtant en mai 2013.
E.on a fait savoir lors de sa présentation qu’elle préviendrait les collectivités locales, mais les élus ne semblent absolument pas avertis du projet. Pas plus que les services de l’État : la DDT Lozère a appris tout récemment le projet, par voie indirecte.
Quelles seront les conséquences de la mise en route d’un tel projet pour la région? Personne ne peut le dire, surtout pas E.on, qui n’a mené aucune étude à ce sujet, comme le précise la Direction Régionale Environnement Aménagement Logement (DREAL) -PACA : « concernant l’approvisionnement en combustible biomasse (…) ».
Ce projet requiert la prise en compte de l’évaluation des effets environnementaux indirects, inhérents à ces exploitations. Il en va notamment des effets attendus sur le paysage et la biodiversité, ce qui n’est pas évalué, ni analysé (NDLR : le dossier du projet fourni par E.on) enfin, si l’entreprise clame haut et fort la durabilité de ses actions, elle ne fait pas mention d’une quelconque stratégie en la matière : aucun incitation à la gestion durable des coupes, aucun projet de plantation après coupe.
Pas plus que des impacts environnementaux et paysagers, E.on ne fait guère cas de l’aspect patrimonial de la châtaigneraie. C’est sans doute ce qui l’amène à mentionner, en tout lucidité, parmi les difficultés identifiées : « Perception initiale négative de notre projet ». Perception toute relative cependant, étant donné la totale opacité de l’action et le cercle restreint d’acteurs informés .
Cette tentative de main mise sur une ressource essentielle du territoire, par voie intermédiaire, ne joue pas en faveur d’E.on : pourquoi une telle discrétion ? Sans doute parce que le projet d’exploitation aura bien des conséquences néfastes pour nos territoires.
La gestion de la forêt : un enjeu public
A l’échelle des territoires décrits et au vu de l’impact pressenti du projet, la gestion de la forêt ne saurait se résumer à une somme de contractualisations privées entre exploitants et propriétaires forestiers. Ce mode de fonctionnement amènerait nécessairement à une exploitation anarchique, au cas par cas, avec des impacts néfastes pour les paysages et la biodiversité, dont nous sommes fortement dépendants en thermes de ressources économiques (agriculture, sylviculture, tourisme).
C’est d’ailleurs en bonne conscience de cet impératif que se sont déployées les chartes forestières de territoire dans les pays Cévennes, la région du mont Aigoual, et aujourd’hui le pays Gorge Causse Cévennes. Ces démarches visent à mettre en place une gestion concertée et éclairée de la forêt : comment envisager une exploitation durable qui préserve une forêt riche en biodiversité? Quelle limite pour l’exploitation forestière, sur des territoires fortement dépendants de leurs qualités environnementales? Quelle valorisation optimum de la production de bois sur les territoires (bois-énergie, bois d’œuvre)… Toutes ces questions méritent un débat public et des décisions politiques adéquates, car la forêt est un enjeu qui nous concerne tous. La gestion de la forêt ne saurait être déterminée par les seules opportunités économiques, à l’insu de la population qui à terme en subira les conséquences.
Les impacts d’une exploitation industrielle
a) Dégradation environnementales et paysagères
Dans la stratégie d’E.on, rien n’a été prévu pour une approche environnementale concertée, ou même soit disant durable, de l’exploitation de la forêt. Ainsi la contractualisation au cas par cas, entre propriétaires et exploitants donnera lieu à des trouées forestières anarchiques, des coupes à blanc ici et là. On sait bien aujourd’hui que si aucune replantation n’est prévue, le pin maritime est le premier colonisateur des espaces ouvertes en Cévennes. La forêt de résineux prendra donc le dessus partout où le châtaignier aura été coupé, acidifiant les sol, générant de l’insécurité en termes de risques d’incendie, il faut ajouter à cela le lessivage des sols mis à nu par les coupes rases.
L’exploitation de parcelles inférieures à cinq hectares étant moins réglementée que celle des surfaces de plus grande importance l’ouverture de pistes de débardage ne donneront pas lieu à des autorisations préalables, et, de voisins en voisins, de contrats en contrat, les trouées pourraient ainsi atteindre des dizaines d’hectares sans avoir été soumis à autorisation. Cette transformation aura nécessairement un impact sensible sur le milieu et les écosystème et dégradera de manière notoire les paysages.
b) Gaspillage de la ressource forestière
Ce projet crée bien sûr de l effervescence chez les acteurs de la filière bois énergie. Il s’agit pour E.on de stimuler ses acteurs, qui eux même iront effectuer une pression économique auprès des propriétaires, via l’offre afin de déboiser des parcelles. Une fois la ressource forestière rentable épuisée, selon les critères d’E.on, la demande, cessera, rien n’aura été prévu pour renouvellement de la ressource. Il faut ici souligner clairement que le projet d’E.on ne comporte qu’une valorisation de premier degré, (utilisation en combustion), et de plus non durable, rien ne viendra remplacer ce qui aura été coupé.
c) Impact sur les usages traditionnels de la forêt.
La forêt est un haut lieu d’activité traditionnelle en Cévennes, cueillette et chasse sont des aspects importants du lien entre les cévenols et la forêt.
Cependant, autant pour le grand gibier que pour les champignons et la châtaigne, la coupe à blanc de parcelles forestières modifiera nécessairement les équilibres écologiques qui permettent jusqu’à présent au plus grand nombre de jouir d’un usage bénéfique de la forêt.
d) Perte d’attractivité touristique
La dénaturation du patrimoine paysager que peut engendrer une exploitation industrielle aura nécessairement des conséquences néfastes pour le tourisme. En effet, le caractère attractif des Cévennes en tant que destination touristique vient principalement d’une part, de sa culture, mais surtout de ses paysages.
e) Dégradation des infrastructures
Enfin, en attendant preuve du contraire, E.on ne se propose pas de dédommager les collectivités qui verront le coût de l’entretien de la voirie sévèrement augmenté du fait de la circulation d’engins lourds: transport de machines, et transport de bois verront leur activité accrue avec l’impact que l’on sait sur des routes qui sont dans leur grande majorité inadaptées à ce type d’activité.
En conclusion :
Le projet d’E.on paraît fort lucratif pour l’entreprise, celle-ci est totalement sécurisé vis-à-vis de l’écoulement de sa production grâce au contrat d’approvisionnement effectué avec l’État et bénéficie de subventions diverses pour son développement.
Ce projet est revendiqué comme « durable », utilisant des résidus végétaux et bois inutilisables pour d’autres usages, alors qu’il se base sur une exploitation industrielle intensive de forêts qui pourraient être mieux valorisées pour le bénéfice des territoires. Revendiqué comme « durable », mais E.on n’a pas effectué d’études sur l’impact que va engendrer sa forte demande de bois local. « Durable », mais aucun projet de renouvellement de la ressource n’est intégré.
Ce projet est mis en œuvre en toute opacité, à l’insu d’une majorité d’élus et populations concernés, alors que la forêt constitue un levier de développement majeur pour les Cévennes lozériennes et gardoises. Verrons-nous partir en fumée les forêts cévenoles à Gardanne, au maigre bénéfice de quelques uns et au détriment de la majorité?
La châtaigneraie constitue une forêt culturelle par essence, subira-t-elle encore une fois le désintérêt de ses habitants comme ce fut le cas autrefois avec le développement de l’industrie du tanin ( qui a « englouti » des parcelles entières de châtaigniers au 19ième siècle)?
Il faut enfin rappeler que toutes les forêts du sud Lozère et du Gard sont concernées par le projet, pas uniquement la châtaigneraie cévenole, en attendant que certains acteurs institutionnels parfois étrangement silencieux à ce sujet bien qu’informés, prennent position, la menace que représente le projet d’E.on doit être portée sur la place publique par les citoyens.